lundi 17 juin 2013

EROS ET THANATOS, CHAPITRE 18

Scène (mal)heureuse



 
Greuz ouvrit la porte de la chambre. Ael lui adressa un grand sourire alors que Lizzie levait un visage soulagé vers lui. 
-                Merci d’être venu, le remercia-t-il. Du fond du cœur.
-                C’est normal après tout ce que vous avez fait pour nous, madame Lizbeth.
Lizzie acquiesça, la gorge nouée, alors qu’elle effaçait les larmes qui s’étaient aventurées sur ses joues. Elle offrit un sourire crispé à Ael, les muscles tendus par le stress. Ce dernier se pencha pour faire rouler Gabrielle sur le flanc et ainsi laisser assez de place pour que Greuz puisse déposer la machine qui maintenait la malade en vie dans le lit à roulettes.
-                Dépêchons-nous avant que Julie ne s’épuise, décida Greuz. On se charge du reste ici, rentrez.
-                Merci, Greuz.
-                Arrêtez de me remercier, madame Lizbeth, lui souffla-t-il. C’est de ma faute si elle est dans cet état.
-                Je sais, mais ça ne change rien au fait que tu es en train de sauver la personne que j’aime. Et pour ça… Jamais je ne te remercierai assez.          

Lizzie contemplait avec inquiétude le visage blême de Gabrielle, à la quête de la moindre réaction de sa part, du plus petit signe qui encouragerait à penser qu’elle se réveillait enfin. Son cœur battait lourdement, le sang cognait à ses tempes, mais une allégresse s’emparait peu à peu de son corps. Pour la première fois, elle agissait S’en était fini de cette attente insupportable. A son tour, elle allait se battre pour sauver son aimée.
Plus jamais elle ne serait inactive.
Quand les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, Ael et Greuz poussèrent le lit d’hôpital dans le hall figé. Ils avaient la singulière impression de débarquer dans un tableau, une scénette photographiée en trois dimensions. Ael aperçut le père des jumeaux, debout, semblant hurler après le médecin et les policiers.
-                Tu les as déjà… ? voulut-il demander.
-                Pas encore, le coupa Greuz. Je vais m’en occuper puis on emmènera Gabrielle à la voiture.
-                Tu peux me faire une fleur ?
-                Quoi donc ?
Après lui avoir glissé ses instructions, Ael délaissa ses amis pour ne pas gêner l’hypnotiseur et rejoignit Edda. Quand il se glissa dans la salle où tous les fichiers étaient entreposés, il reçut une Julie tout sourire dans les jambes.
-                Coucou, puce, lui sourit-il. Joli travail, dis donc !
-                Merci ! s’exclama l’enfant avec ravissement.
L’ex-agent la hissa dans ses bras et lui baisa le front avant de se tourner vers Edda dont les doigts voletaient sur le clavier alors qu’elle effaçait soigneusement toute trace de l’existence de Gabrielle Helldi dans cet hôpital.
-                Comment tu t’en sors ?
La jeune femme lui offrit un sourire espiègle.
-                Très cher, je suis une hacker professionnelle ! Tout roule comme sur des roulettes !
-                Je vois ça. Je peux t’aider à quelque chose ?
-                Obtiens la libération des agents, et je crois que ce sera bon.
Ael voulut répondre, mais la jeune italienne s’était déjà replongée dans son travail sans prendre la peine d’attendre. Ne voulant pas la déranger, Ael s’éclipsa en compagnie de Julie. Dans le hall, Greuz faisait aller son pouvoir, mais les rouages avaient du mal à tourner. Cela faisait de longues années qu’il ne s’en était pas servi… A chaque tentative, il revoyait Gabrielle sur son lit blanc, plus inerte qu’une morte et la culpabilité le submergeait. Lentement, il parvint à assembler les parcelles dispersées de son pouvoir. Il dégageait alors de lui une force monstre, un calme impressionnant et une assurance écrasante. Il était tel que l’avait rencontré Ael la première fois, quand il était à la tête d’un groupe puissant de contrebande, dans cet univers où l’honnêteté était le pire des vices. Soufflé, il le vit prendre un à un chaque personne dans le hall pour lentement manipuler leurs souvenirs. L’étape avec les parents Helldi fut plus délicate car il s’agissait d’une subtile opération, mais il la réussit sans anicroche. 
-                Il faut aller voir le personnel de l’hôpital également, fit savoir Greuz.
-                Julie, tu tiens le coup ? s’inquiéta Ael.
-                Oui, assura fièrement l’enfant alors que son visage pâle démentait le contraire.
-                Greuz, je suis désolé, on doit y aller, là. Nous devons être partis avant que le pouvoir ne se dissipe.
-                Mais… voulut protester la fillette.
-                Plus tard, ma puce. Greuz, ça va ?
-                Je me sens super bien, avoua l’homme avec un grand sourire. Je vais chercher Edda et on file.
Quelques minutes plus tard, une fois le lit remis à sa place originelle, ils démarrèrent et quittèrent le parking de l’hôpital avec Greuz au volant et Julie à la place du passager. Ael tenait Gabrielle délicatement contre lui comme s’il avait peur de la voir se briser entre ses bras telle une brindille. Lizzie poussa un soupir de bien-être et de soulagement mêlés alors qu’elle se rencognait dans les sièges de la banquette arrière.
-                On a réussi, murmura-t-elle d’un air abasourdi.
Ael lui offrit un sourire compatissant en voyant des larmes humidifier ses joues alors qu’Edda observait silencieusement cette hybride submergée par son soulagement. Lizzie se recroquevilla sur elle-même. Elle avait eu tellement peur ! Elle sentit soudain de petits doigts sur son poignet et retira vivement sa main. Julie n’en prit pas ombrage et lui offrit un grand sourire plein de dents.
-                La madame va bientôt se réveiller, non ? demanda-t-elle.
-                Je ne sais pas, lui avoua Lizzie… Julie ?
-                Oui ?
-                Merci pour ton aide précieuse. Grâce à toi, on a pu la sauver.
L’enfant, toute contente des compliments qu’on lui adressait, se mit à chantonner. L’ambiance était légère quand ils rentrèrent dans le parking du QG. Prévenus de l’opération, plusieurs amis de Lizzie avaient préparé un lit à roulette qui accueillit Gabrielle dès sa sortie de voiture. Quand Edda faillit être remise dans sa cellule, la dirigeante de l’anti-brigade prit le contrôle des opérations.
-                Nous allons délivrer les agents, décida-t-elle d’un ton irrévocable. Bien sûr, nous n’allons pas les relâcher sans avoir effacé leurs souvenirs des hybrides et de la brigade. Greuz ?
-                Vous êtes sûr, madame Lizbeth ? voulut savoir le géant.
-                C’est la meilleure solution. Mais si Edda le veut, elle peut garder sa mémoire.
-                Merci, Lizbeth, la remercia naturellement l’agent.
Beaucoup protestèrent, trouvant le sort des agents bien trop doux. Mais Lizzie était fermement campée sur ses positions.
-                Il n’existe plus de brigade, répliqua-t-elle calmement. Ni d’anti-brigade. Cela ne sert à rien de faire encore couler du sang, c’est la paix et la tranquillité que nous souhaitons, pas la vengeance.
Pendant qu’elle parlementait, Ael poussa le lit, accompagné de Julie et de Gof qui sautillaient près de lui, l’air ravi.
-                Vous savez où l’on peut l’installer ? leur demanda-t-il.
-                Y’a plein de chambres libres au troisième étage ! lui répondit le garçonnet. Elle est belle la dame ! Elle dort ?
-                D’un profond sommeil.
-                C’est une princesse ?
-                Heu… oui, peut-être… 
-                Alors, il lui faut un prince ! affirma Julie en dardant sur Ael un regard insistant.
L’ex-agent haussa un sourcil. Il allait répondre quand il entendit un tonitruant “AEL !” Il grimaça. Ah, son prince à lui n’avait pas l’air bien content. En effet, Cinaed arrivait à grands pas, l’air furibond. Il allait ouvrir la bouche pour l’enguirlander, mais se figea à la vue de sa sœur. Fronça les sourcils. Soupira.
-                Mais qu’est-ce qui s’est passé encore ? marmonna-t-il.
-                Bah, en fait… commença son amant.
-                AEL !
Anaïs se précipita sur lui, à bout de souffle. A la vue de son sourire, Ael comprit le message. Il la saisit par les épaules. 
-                Vous savez où il est, madame Arra ? la pressa-t-il.
-                O… Oui, parvint à articuler la jeune femme. Azela et Nathanaël l’ont trouvé et ramené. Il est là-haut, réfectoire.  
-                Oh, merci mon Dieu !
Il courut sans plus attendre, plantant là le lit de Gabrielle, les enfants et Cinaed. Ce dernier, désappointé, ouvrit la bouche, mais la referma. Heu… ?
-                Allez-y, jeune homme, lui sourit Arra. Je vais m’occuper de votre sœur. Pour le moment, votre place est avec Ael.

Azela observait avec tendresse le jeune Antoine qui mangeait avec enthousiasme ses pâtes.
-                Faudrait retrouver son père, quand même, souffla-t-elle à son fiancé qui lui tendait un verre. Il doit être mort d’inquiétude.
-                Laisse-le manger, on lui en parlera après, sourit doucement Nathanaël.
Il s’assit près d’Antoine.
-                Alors, elles sont bonnes, les pâtes ? lui demanda-t-il.
-                Voui ! s’exclama joyeusement l’enfant, la bouche barbouillée de sauce tomate. Papa, il les fait trop bien, les pâtes bolo, aussi !
-                Ah oui ?
-                Mon papa c’est le meilleur, ajouta crânement le petit.
-                Je me demande bien à quoi il ressemble, alors.
-                ANTOINE !
Les portes du réfectoire furent brutalement repoussées par un Ael en nage et à bout de souffle. Sous les yeux ébahis des fiancés, Antoine sauta de son banc en criant un grand “PAPAAAAA !” et se jeta dans les bras d’Ael avec une telle force que tous deux tombèrent à la renverse !
-                Papa ? s’étrangla Azela après un moment de silence.
Ael serrait son fils contre lui au point de l’étouffer. Des larmes de joie et de soulagement dévalaient sur ses joues alors qu’il chuchotait des paroles rassurantes au petit être collé contre lui.
-                J’ai eu si peur, papa, s’étrangla Antoine en s’agrippant aux vêtements du jeune homme, le visage enfoui dans son cou. Si peur… 
-                C’est fini, tout va s’arranger, lui promit Ael. Tout va s’arranger… 
Il lui déposa des baisers sonores sur les joues, ria avec lui, son visage entre ses larges mains, respira profondément l’odeur de ses cheveux, heureux, soulagé à en crever. Nathanaël, aussi surpris qu’attendri, se leva et s’approcha de son meilleur ami.
-                C’est donc ça que tu nous cachais ? le taquina-t-il.
Avant qu’il ne puisse réagir, il reçut Ael dans ses bras qui pleurait à chaudes larmes.
-                Merci, merci, merci… ne cessait-il de murmurer.
Nathanaël le serra brièvement dans ses bras avant de le remettre à son fils qui s’agrippa avec possessivité à lui. Azela attrapa doucement la main de son fiancé alors qu’il enroulait un bras autour de sa taille. La jeune femme leva un regard brillant sur lui.   
-                On a bien fait, hein ?
-                Ouais… On a bien fait.
Sa fiancée remarqua alors la silhouette aux bras ballants sur le seuil du réfectoire et un petit sourire vint fleurir sur ses lèvres. Elle se détacha de son amant pour s’approcher de Cinaed. Doucement, sans un mot, elle saisit sa main pour l’encourager à la suivre. A leur approche, Ael perdit son sourire. Il chuchota quelques mots à Antoine qui accepta à contrecœur de descendre de ses bras, mais qui refusa de lâcher sa main. 
-                Antoine, je te présente Cinaed, lui déclara son père. C’est une personne très gentille. Tu sais, je te parlais souvent de lui… 
-                Le monsieur avec les flammes ? émit timidement l’enfant.
-                Oui, c’est lui… Cinaed, je te présente Antoine. C’est mon fils adoptif.
-                Hein ? ne parvint qu’articuler Cinaed, ébranlé.
Son manque de réaction blessa profondément le jeune homme. Nathanaël jugea bon de les laisser s’expliquer. Il parvint, bien difficilement, à détacher Antoine de son père et à l’emmener avec lui. Azela ferma la porte du réfectoire derrière eux. Après leur départ, le silence s’installa entre les deux amants. L’ex-agent finit par s’asseoir sur un banc et prit une profonde inspiration.
-                Cinaed, je ne te demande pas de devenir un père pour Antoine. Je sais que tu n’apprécies pas les enfants, mais… Entre lui et toi, je le choisirai. Je l’ai adopté et je l’assumerai jusqu’au bout.
Cinaed se laissa tomber près de lui, ne sachant que dire. Il ouvrit la bouche, mais la referma, hésita. Finalement, il leva les yeux sur Ael qui attendait avec angoisse sa réaction. 
-                Je ne peux pas…
Le cœur d’Ael se brisa. Il pouvait le sentir se morceler dans sa poitrine, entendre les tessons tomber au fond de son corps. Hébété, il ne bougea pas pendant un moment. Cinaed, lui, fuit son regard. Il finit par se lever et faire quelques pas, terriblement nerveux. 
-                Je t’aime, Ael, lui déclara-t-il, brûlant. Mais… assumer un enfant… Je ne suis pas prêt pour ça.
-                Je ne te demande pas de l’assumer, cracha le jeune homme.
La douleur avait laissé place à une colère froide. Il se leva, les yeux asséchés par des larmes qui n’existaient pas. Sans hésiter, il fit face à son amant. 
-                Je voulais que tu l’acceptes. Que tu nous acceptes. Si je ne t’ai rien dit pendant tout ce temps à propos de lui, c’est parce que j’imaginais bien que tu réagirais comme ça. Lizzie m’avait assuré que tout irait bien, que tu prendrais sur toi… parce que tu m’aimais… Mais je constate, qu’en définitive, c’est moi qui ai porté le meilleur jugement. Et crois bien que j’aurais mille fois préféré me tromper.
Il laissa le temps à Cinaed de digérer ses paroles, il lui laissa la chance de se défendre, mais le dessinateur ne trouva rien à dire. Blessé, attristé, mortifié, Ael finit par quitter la pièce. Quand la porte claqua derrière lui, Cinaed comprit qu’il venait de perdre l’amour de sa vie.

Nathanaël trouva Cinaed au réfectoire, assis sur un banc, l’air stupide, les yeux rivés dans le vague. Un soupir franchit ses lèvres et il trottina jusqu’à lui.
-                 Ael est parti comme une tornade en emportant Antoine avec lui, confia-t-il en s’asseyant près de lui.
-                … 
-                … Cinaed… 
Il posa ses mains sur les siennes pour le ramener à la réalité. Le dessinateur sembla brusquement se dégonfler et se recroquevilla sur lui-même en pleurant à chaudes larmes. Pas le moins surpris par son attitude, Nathanaël le prit contre lui et le berça jusqu’à ce qu’il se calme. Au bout de longues minutes, le frère de Gabrielle parvint enfin à discipliner sa respiration anarchique. Il se redressa et sécha ses larmes. Patiemment, le frère de Marielle l’encouragea à parler.  
-                J’ai refusé… finit par murmurer Cinaed, mortifié. J’ai eu trop peur, je…
-                C’est Antoine, le problème ?
-                C’est… Je ne peux pas élever un enfant… 
-                Pourquoi donc ?
Cinaed eut un rictus amer.
-                Parce que j’ai peur de reproduire le même schéma qu’avec mon père… Je ne t’en ai jamais parlé ?
-                Tu n’étais pas vraiment ce qu’on pouvait appeler quelqu’un de loquace, Cin’, avant le retour d’Ael.
-                Ah oui… murmura le dessinateur.
Il prit une grande inspiration, sentant sa gorge se nouer de nouveau.
-                Mon père… m’a renié… 
-                Quoi ?
-                Il m’a renié, Nat’… en apprenant que j’étais homosexuel. Il m’a chassé du domicile familial. J’étais seul, sans argent, sans personne vers qui me tourner. Si je n’avais pas été recueilli par une dame prise de pitié, j’aurais fini à la rue.
Nathanaël sentit son cœur se serrer. Quelle horreur… Cinaed leva un regard humide sur lui.
-                Je ne sais pas comment m’y prendre avec les enfants, à part les menacer, je ne sais rien faire d’autre. Si Antoine venait vivre avec nous… Il finirait par me haïr et Ael me quitterait.
-                Mais tu le perds déjà… Pourquoi ne pas tenter de… ?
-                Non ! Non, non, non… Je… C’est mieux ainsi. Je préfère qu’Ael me prenne pour un lâche que pour un monstre.
-                Ael sait pour toi et ton père, non ?
-                Oui… Nous en avons déjà parlé… 
-                Il est intelligent, Cin’… Je pense qu’il comprendra si tu lui exposes clairement tes craintes. Il t’aidera, il t’apprendra et Antoine est un petit garçon vif d’esprit. Il ne… 
-                Ma décision est prise, Nat’… De toute manière, il est trop tard.
De l’autre côté de la porte, Lizzie n’émit pas un mot. Elle soupira et rejeta la tête en arrière.
En définitive, elle n’avait même pas eu l’occasion de voir Antoine… 

Lydéric raccrocha. Ravi, il poussa un grand cri de joie et se mit à sautiller à travers l’appartement. C’était officiel, il partait en tournée ! Enfin, il allait pouvoir se changer les idées ! Voir Ael heureux était à la fois un supplice et un bonheur, il avait besoin d’aller s’aérer… 
Pour fêter cet heureux événement, il se déboucha une bouteille de vin. Dire que dans moins de cinq jours, il s’envolerait pour le Japon ! Le pied !
Il allait porter le verre à ses lèvres quand on sonna à la porte. Tiens, qui cela pouvait-il donc être ? Il reposa son verre à regret et ouvrit la porte. 
-                Ael ! s’exclama-t-il, ravi. Content de… Mais, ça ne va pas ? Hé, Ael !
Et Antoine, qui se tenait en retrait, vit son père éclater en sanglots amers dans les bras de cet inconnu.

Après quelques explications décousues, une bonne douche et quelques verres, Ael était enfin un peu plus calme. Il alla coucher Antoine dans la chambre qu’il occupait il y a peu. Il lui baisa le front et lui caressa les cheveux.
-                Ça ne va pas, papa ? lui demanda timidement l’enfant.
-                Ne t’en fais pas, bonhomme. Papa est un peu secoué. On va rester un moment ici, ça te va ?
-                Oui… Le monsieur est gentil avec moi.
-                Oui, c’est une bonne personne… Dors bien, mon cœur et fais attention à ne pas te téléporter au cours de la nuit, ajouta-t-il avec un sourire taquin.
-                Je vais me maîtriser, promit l’enfant avec sérieux.
-                Bonne nuit, petit ange.
Ael rejoignit Lydéric dans le canapé. Le mannequin lui ouvrit ses bras et son ami s’y pelotonna avec reconnaissance, ayant besoin d’affection après sa brusque rupture avec Cinaed.
-                Que comptes-tu faire, maintenant ? lui demanda Lydéric gentiment.
-                Je pensais retourner chez mes parents, avoua Ael d’une petite voix. Je ne les ai plus revus depuis mon entrée dans la brigade. Le problème, c’est que je n’ai ni papiers, ni passeports et sûrement pas assez d’argent pour me payer un billet d’avion et les rejoindre. Tout a brûlé avec le pensionnat.
-                Je peux te procurer tout ça, tu le sais, non ?
-                J’abuse déjà suffisamment de toi comme ça, Lydéric.
-                Ael, l’argent n’est pas un problème pour moi. Et je veux t’aider.
-                Tu en fais tellement pour moi alors que je n’ai rien à t’offrir en retour… j’ai l’impression d’être un ingrat, un parasite, ricana amèrement le jeune homme.
-                Je t’interdis de penser ainsi ! Si tu me gênais, je t’aurais déjà mis à la porte !
Un petit rire fusa des lèvres d’Ael.
-                Ça, je le sais, sourit-il doucement. Mais je ne peux accepter.
-                Ton avis m’importe peu, ma décision est déjà prise.
-                Quel tyran, ironisa l’ex-agent.
Lydéric prit un air faussement vexé avant d’attaquer Ael en lui chatouillant les flancs. Le jeune homme explosa de rire et dut bientôt demander grâce.
-                Très bien, je me soumets, sourit-il. Tu es trop fort pour moi.
-                …Tu ne vas vraiment pas laisser une chance à Cinaed ?
Le visage du garçon se ferma. Il se recula alors que de la colère venait teinter ses yeux de lueurs orageuses.
-                Non, fut sa réponse.  La chance, il l’a eue, il l’a rejetée. J’ai besoin de stabilité pour Antoine, pas d’un homme qui l’accepte sous son toit par contrainte. 
-                Mets-toi un peu à sa place, Ael… lui chuchota Lydéric en le reprenant dans ses bras. Un enfant, c’est beaucoup de changements dans une vie…
-                Je ne veux plus attendre, Lydéric. Je l’ai cherché tellement longtemps… Si je me suis rapproché de ces groupes douteux, si j’ai plongé, si je n’ai pas achevé ma classe préparatoire alors que j’avais la possibilité de faire bien plus, c’est pour lui… Pour Cinaed. Même avec Antoine à mes côtés, j’aurais pu aller plus loin, mais l’aide d’Arra pour ses pouvoirs et le réseau des agents pour Cinaed… c’était trop tentant… 
-                … Très bien, je n’insisterai pas.
-                Merci.
-                Au fait, j’y pense, où sont tes parents ?
-                Aux dernières nouvelles, je crois qu’ils vivent toujours au Japon…
-                Au Japon !
-                Heu, oui, pourquoi ?
-                J’y vais pour ma prochaine tournée ! On va pouvoir faire le voyage ensemble !
-                Tu pars dans combien de temps ?
-                Cinq jours.
-                Je n’ai pas de papiers, lui rappela Ael.
-                Je m’en occupe, ne t’en fais pas, OK ?
-                … Tu es un type bien, Lydéric. Merci pour tout…
Le mannequin lui sourit et le serra un peu plus contre lui.
-                Tu sais parfaitement dans quelle posture je me trouve, non ? lança-t-il.
-                Je sais, et j’en suis désolé, lui chuchota Ael. Mais je n’avais nulle part où aller.
-                Non, je préfère te savoir ici qu’errer je ne sais où avec ce pauvre Antoine.
-                … 
-                Je pourrais t’aider à oublier Cinaed, tu le sais, n’est-ce pas ?
-                J’en suis conscient. Et je sais que je serais heureux avec toi, mais… Laisse-moi un peu de temps. Juste celui de tourner la page. J’aime encore Cinaed, alors… 
-                Je sais.
-                Mais, Lydéric, je t’en prie… Ne m’attends pas. Je ne veux pas te retenir captif, ce serait égoïste et cruel. Alors… d’accord ?
-                Oui… D’accord.

-                Donc tu t’en vas…
Ael nota la tristesse dans la voix de son ami et lui offrit un petit sourire.
-                Je serai revenu pour ton mariage, Nat’, ne t’en fais pas. Cela fait trop longtemps que je n’ai plus vu mes parents. Et puis je pourrai t’appeler, maintenant que j’ai un portable.
-                Un autre cadeau de Lydéric ? railla Nathanaël.
-                Je le rembourserai dès que j’en aurai les moyens, répliqua le père d’Antoine. Mais pour le moment, je n’ai pas d’autre choix. Toutes ses démarches administratives prennent un temps fou ! 
-                Je sais… Mais c’est la bonne solution, tu crois ? Pour Cinaed… 
Ael sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine à la simple évocation de ce nom. Il tâcha de garder contenance. 
-                Non, ce n’est pas une solution, c’est une fuite, répondit-il doucement. Mais je n’ai rien d’autre, à part ça, pour le moment.
-                … 
-                Ne me fixe pas comme ça, Nat’… C’est assez douloureux comme ça… 
Un petit sourire vint ourler les lèvres du garçon qui prit son ami dans ses bras.
-                Appelle dès que tu as besoin de parler, lui chuchota-t-il.
-                Toi aussi… 
-                Je n’y manquerai pas. Et n’oublie pas ! Dans deux mois, tu reviens pour mon mariage, on est bien d’accord ?
-                Comme si je pouvais l’oublier ! sourit Ael, ravi pour son ami.

L’aéroport grouillait de monde ! Ael, quelque peu inquiet pour Antoine, resserra la prise qu’il avait sur sa main. A côté de lui, Lydéric sifflotait, tout joyeux à l’idée de partir en voyage. Il vit son ami se pencher sur son fils pour lui donner de nouveau ses instructions.
-                N’oublie pas, si tu te téléportes quand on sera au Japon, tu utilises ton portable pour m’appeler et me dire où tu es, c’est bien compris ? Tu en connais le fonctionnement, tu en es sûr ? Tu as toujours ton carnet avec les questions de base en différentes langues, aussi ? 
-                Oui, papa, souffla Antoine avec fatigue. Tu me l’as déjà dit pleiiiiin de fois… 
-                Oui, mais… 
-                Ael, notre avion, lui indiqua Lydéric. On devrait y aller.
-                Heu, oui, tu as raison, heu… Bon, Antoine, tu… 
-                Oui, papa ! le coupa son fils.
Voyant le visage inquiet de son père, le petit effectua une pression sur sa main.
-                Oui, papa, répéta-t-il. C’est bon.
-                OK… 
Pour le rassurer, Antoine déposa un baiser sonore sur sa joue. Quelque peu rasséréné, Ael se tourna vers Lydéric.
-                Hé bien, embarquons, alors.
-                Avec plaisir !

Lizzie était en train de consulter les plans du bâtiment qu’elle avait fait construire quelques années auparavant pour accueillir ses semblables. Aujourd’hui, avec quelques menus travaux, elle se disait qu’elle pourrait très bien le transformer en hôtel ou auberge de jeunesse. Les chambres se vidaient au fur et à mesure, il ne resterait bientôt plus grand monde ici avec elle. La jeune femme eut un sourire satisfait. Finalement, après des années de lutte, elle avait réussi à offrir un avenir convenable à des personnes que la société rejetait… 
Les couloirs résonnaient d’absences. Siméon, Julie, Gof et quelques autres étaient trop jeunes pour se lancer dans la société, mais ils avaient tous trouvé quelqu’un qui acceptait de s’occuper d’eux jusqu’à ce qu’ils soient capables de se prendre en charge eux-mêmes. C’était d’ailleurs Edda qui avait embarqué Siméon et Thérèse avait choisi d’adopter les plus petits. Lizzie, en entendant plusieurs des siens protester contre l’effacement de la mémoire de cette vieille dame, avait choisi de la laisser tranquille.
La jeune femme entra dans la chambre de Gabrielle où son aimée dormait de son sommeil princier. Elle trouva avec étonnement Cinaed à son chevet.  
-                Tu n’es pas allé retenir Ael ? le questionna-t-elle. Il part aujourd’hui, tu n’as pas oublié ?
-                Je n’ai pas oublié, répondit doucement Cinaed.
-                … Cinaed, rentre chez toi. Prends un bain, un verre et dors. Tu en as grand besoin.
Le frère de Gabrielle ne chercha même pas à protester.

2 commentaires:

Alex67 a dit…

Ael est papa !! :') enfin, il l'a adopté, ms sa revien au meme ! Trop belles retrouvailles !

Anonyme a dit…

Vont pas se séparer qd même, ael et cin' ?!