lundi 17 juin 2013

EROS ET THANATOS, CHAPITRE 3




Scène d'adaptation




Nathanaël ouvrit difficilement les yeux. Il s’était endormi dans une fourgonnette, sur le matelas de fortune qu’on avait mis à sa disposition pour le trajet. A cause de la camisole, il avait cru qu’il n’arriverait jamais à trouver le sommeil ! Mais, finalement, les émotions de la veille avaient eu raison de sa résistance.
Le garçon se redressa péniblement. Il parvint à se lever malgré ses bras entravés et s’approcha de la fenêtre barrée d’un grillage pour observer les alentours. Il sentit le souffle lui manquer quand il se rendit compte qu’il n’avait aucun point de repère ! Il ignorait totalement où il se trouvait.
Quel magnifique horizon ! Plus personne pour nous ennuyer, n’est-ce pas merveilleux, Nathanaël ?
-                Merveilleux, en effet, murmura le garçon pour les satisfaire, espérant ainsi qu’elles se tairaient.
Ce ne fut évidemment pas le cas.
Méfie-toi des inconnus. S’ils tentent de t’approcher, tue-les ! Ils ne sont pas dignes de ta confiance !
-                Si vous le dites…

Ah, je vous qu’on va être bien, là-bas, tous ensemble… N’es-tu pas de notre avis ?

-                Si, si…     
Un bâtiment blanc sembla soudainement surgir de nulle part ! Il était là, perdu dans le creux d’un vallon. Nathanaël comprit bien vite que cet endroit serait sa nouvelle “maison” et son cœur se serra. La fourgonnette passa un poste de sécurité. Il vit le conducteur descendre pour subir une fouille corporelle minutieuse. Il présenta sa carte magnétique et on le laissa passer. Il fit avancer le véhicule dans une cour immense et déserte. Seul un homme bedonnant à la peau hâlée se trouvait là pour l’accueillir. Il haussa un sourcil à la vue de Nathanaël, quand on le fit descendre de la fourgonnette. On lui enleva sa camisole.
-                Alors c’est toi le fameux hybride… 
-                Pardon ? balbutia le garçon, interpellé par ce nom pour le moins… étrange.
-                Je m’attendais à ce que tu aies l’air plus menaçant.
-                Ne vous y fiez pas, répliqua-t-il, sourcils froncés. Je suis dangereux, alors je vous conseille de rester loin de moi.
Il vit l’homme tressaillir. Il allait ouvrir la bouche, quand une voix l’interrompit.
-                C’est bon, Harold, tu peux me le laisser.
Nathanaël vit alors l’homme présent à son procès s’avancer vers eux, un dossier sous le bras. Le dénommé Harold ne chercha même pas à discuter. Il salua respectueusement le nouvel arrivant avant de s’éloigner. L’homme à la blouse blanche feuilleta le dossier calmement puis le referma dans un claquement sec.
-                Nathanaël Ouïmo, alors. Je suis le docteur Wiilez, le directeur de cet établissement. Je vais t’accompagner jusqu’à ta chambre et ainsi t’expliquer les règles… Tu n’as rien avec toi ? Aucun bagage ?
-                Comme vous pouvez le voir.
Le garçon se demanda un court instant s’il avait la force de fondre en larmes. Mais non… Comme toujours, le courage lui manqua. Le cran d’extérioriser ses sentiments l’avait depuis longtemps déserté. Il suivit alors sans un mot son guide.
-                Tu es interné dans la section dite dangereuse, expliquait celui-ci. Là-bas, c’est une chambre par personne, nous ne tenons pas à ce que des bagarres éclatent entre les pensionnaires. Jamais, jamais, au grand jamais je ne veux te voir lever la main sur un autre hybride. On tu en subiras amèrement les conséquences.
“Encore ce nom étrange…”
-                Du moment que tu restes dans l’aile assignée à ta section, tu peux te balader où tu veux et ce, quand tu veux. Néanmoins, il est interdit de quitter sa chambre une fois l’heure du couvre-feu dépassée. Il sonne tous les jours à vingt heures.
Tout en parlant, ils marchaient à travers des corridors sombres, couverts de graffitis colorés et rêveurs. Les voix échangeaient entre elles, impatientes et fières de leur nouveau chez elles. Nathanaël, lui, fixait le dos de son guide sans émettre un mot.
-                Tu auras des médicaments à prendre, continuait celui-ci. Il est évidemment interdit de fumer, de boire ou de se droguer dans l’enceinte de l’établissement. Tu as le droit à trois sorties par semaine dans le parc, en même temps que le reste de ta section. Les repas sont servis dans les chambres, à heures fixes : sept heures, midi et dix-huit heures. Tu as une demi-heure pour manger avant qu’on ne te retire ton plateau. Les douches sont collectives. Tu as le droit à une tous les deux jours, le soir, vers dix-neuf heures.
Il continua à énoncer quelques règles sans que Nathanaël l’écoute. Tout à coup, toute son attention fut absorbée par une silhouette qui venait d’apparaître à l’autre bout du couloir. Il s’agissait d’une jeune fille aux longs, longs cheveux noirs… Ils descendaient dans son dos en une lourde et épaisse cascade de boucles brunes. Elle avait un teint bien pâle, comme celui d’une poupée de porcelaine et un bandeau rouge était noué autour de ses yeux. Elle avançait d’une démarche légère et assurée, caressant un mur de sa main droite, comme pour se repérer. Elle s’arrêta près de l’homme. 
-                Bonjour, Monsieur le directeur, le salua-t-elle poliment.
Elle parlait avec un accent anglais dans la voix. Elle tourna son visage vers Nathanaël et prit une série de petites inspirations discrètes. Instantanément, les voix se turent. Pour la première fois de sa vie, la tête du garçon fut vidée de leurs présences. Il en écarquilla les yeux. Comment… ?
-                Je ne connais pas cette odeur… Tu es nouveau ici ?
Il fallut un temps à Nathanaël pour se rendre compte que c’était à lui que l’étrange jeune fille s’adressait. 
-                Je viens d’arriver, acquiesça-t-il alors. Je m’appelle Nathanaël, et toi ?
-                Azela, se présenta-t-elle dans un sourire aimable.
-                Azela, tu pourrais l’accompagner ? intervint le directeur. C’est le nouveau pensionnaire qui va occuper la chambre voisine de la tienne.
La jeune fille haussa un sourcil moqueur.
-                Alors comme ça, il serait considéré comme aussi dangereux que moi ? émit-elle. Qu’a-t-il commis de si grave ?
-                Deux meurtres.
Nathanaël s’attendait à ce qu’elle s’enfuit en courant, mais elle se contenta de hocher la tête.
-                Je vois. Suis-moi, Nathanaël.
-                Heu, oui…
Il se pressa à sa suite. Azela marchait calmement, toujours une main sur le mur pour ne pas perdre son chemin.
-                … Tu n’as pas l’air d’être folle, finit par émettre Nathanaël, plus pour casser le silence que pour lancer la conversation.
Un grand vide l’habitait. Aucune des voix n’avait visiblement l’attention de se manifester en présence de cette fille… Il avait envie qu’elle reste. Ainsi, elles se tiendraient tranquilles. Il fallait qu’il la retienne près de lui !
-                Je ne suis pas folle, finit par répondre Azela. Personne ne l’est ici, ce n’est pas un hôpital psychiatrique. Mais je suis dangereuse. C’est pour ça que j’ai été internée ici, comme n’importe lequel d’entre nous. C’est juste qu’ils ne supportent pas de nous voir en liberté. 
Nathanaël se figea, les yeux écarquillés. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qu’est-ce que cette fille racontait ? Son discours lui faisait peur. Il avait pourtant été emmené dans un hôpital psychiatrique, non ? Non ?!
… Mais où avait-il atterri ? La main d’Azela sur la sienne le fit sursauter. Elle le tira en avant pour qu’il se remette en route. Aussi docile qu’une poupée, Nathanaël consentit à la suivre, le cœur battant. Tout cela lui semblait tellement étrange, irréel… Ce lieu, la présence de cette fille aveugle, le docteur Wiilez… 
Et il y avait ce silence… C’était trop vide ! Nathanaël n’avait jamais connu une telle quiétude. Seul le bruit de ses pas, mêlé à ceux d’Azela, lui indiquaient encore qu’il disposait de toute son ouïe. Il trouvait ce calme à la fois angoissant et réconfortant. Mais c’était trop soudain… Il avait besoin de combler ce manque.
-                Tu as dit que tu étais… dangereuse ? Tu n’en as pas vraiment l’air pourtant.  
Azela se contenta de secouer tristement la tête.
-                Je ne tiens pas vraiment à en parler. Mais je suis dangereuse, vraiment. Et pour qu’ils te placent dans la chambre près de moi, tu dois l’être également.
-                Je vois… Heu… 
Il voulait parler, il avait ce besoin irrépressible de combler le silence trop pesant et trop soudain qui régnait dans sa tête. Mais ils étaient arrivés devant trois portes. Le garçon remarqua les gardes, armés de Tasers et de matraques. Deux, chacun posté à un bout du couloir. Il déglutit.
-                Voici ma chambre, indiqua Azela en effleurant l’un des battants en fer. La tienne, c’est celle à droite. Celle à gauche est vide aussi, mais je ne te conseille pas de la prendre, les murs sont mal isolés, résultat il y règne un froid de canard en hiver.
-                M… merci.
-                Ne me remercie pas. Ne remercie jamais personne ici. Dans cette prison, tu vas devoir prouver que tu es fort. Sinon, tu vas te faire bouffer. Mais bon, je suppose que tu n’auras pas de difficulté à te faire obéir. Les meurtriers savent souvent comment inspirer la crainte et le respect.
Elle ouvrit alors sa porte et s’engouffra dans sa chambre. Avant de tirer le battant, elle se tourna vers lui une dernière fois :
-                Tu as loupé le petit-déjeuner, le déjeuner arrivera dans deux heures. Et les douches sont ce soir. Je te guiderai.
Et elle referma la porte. Aussitôt, des murmures par centaines emplirent la tête du garçon.
Ne l’approche pas, Nathanaël. Tue-la dès que tu en auras l’occasion. Cette fille est dangereuse, elle est mauvaise, elle va te faire du mal !

Son déjeuner était constitué de pain noir, d’une assiette de haricots rouges trop cuits et d’un steak haché tout mou. Pour tout couvert, une simple cuillère en plastique. Pas de couteau, pas de fourchette… Nathanaël, assoiffé, vida avidement la carafe. Il ignora superbement ses médicaments qu’il jeta dans la cuvette des toilettes trônant dans un coin de sa chambre. Puis il sortit. Tout était silencieux dans les couloirs. Contrairement à ce matin, Nathanaël ne rencontra aucun garde. Il marchait sans un bruit, voulant voir à quoi ressemblait sa nouvelle prison. Elles échangeaient des commentaires enthousiastes. La quiétude des lieux lui semblait quelque peu surnaturelle.
Il comprit néanmoins bien vite pourquoi il ne croisait aucun “pensionnaire”. Il était à l’étage et l’une des portes de chambre était entrouverte. Y jetant un coup d’œil, le garçon vit un homme, à moitié assis dans son lit, presque couché. Il regardait un point fixe devant lui sans faire le moindre mouvement. En somme, il était complètement abruti. Par quoi ? La réponse lui parut évidente : les médicaments. Tous les pensionnaires avaient été drogués pour éviter qu’ils se baladent partout et ainsi écarter tous les ennuis potentiels qu’ils pourraient créer.
Les hommes d’ici ont peur de toi, Nathanaël, ainsi que de ces autres pauvres bougres. Mais toi, tu es trop malin pour te laisser prendre au piège.
Nathanaël allait répliquer quand des bruits de pas attirèrent son attention. Il vit avec étonnement Azela qui marchait avec assurance au milieu du couloir. Elle le frôla et sursauta.
-                Qui est-là ? s’inquiéta-t-elle. 
Ses narines se gonflaient et se dilataient rapidement. Elle finit par se calmer.
-                D’après l’odeur, tu es le nouveau, non ?
-                Oui, c’est moi, acquiesça Nathanaël.
-                Je vois que tu as fait ton malin et que tu n’es pas tombé dans le piège des médicaments.
-                … Pourquoi est-ce qu’ils droguent tout le monde ?
Azela haussa les épaules. Ses sourcils froncés disparaissaient derrière son bandeau.
-                Parce que ça arrange bien les gardes que nous soyons aussi sages que des agneaux. Les effets durent jusqu’au prochain repas, mais ils n’en mettront pas avec la nourriture ce soir : ils n’ont aucune envie de nous laver comme si nous étions des bébés.
-                Mais, ils n’ont pas compris ce qui se passait ou quoi ?!
-                Non, mais ça leur permet de passer le temps. Dans ces lieux, tu n’as rien d’autre à faire que d’attendre. Nous sommes des hybrides, Nathanaël. Aux yeux des personnes ordinaires, nous ne sommes rien de plus que de animaux à mettre en cage.
Hybride… 
Un silence pesant s’installa entre eux. Azela s’apprêtait à reprendre son chemin, mais il l’arrêta en attrapant son poignet. Un long frisson les parcourut. Des ombres furtives et dantesques passèrent devant les yeux du garçon. La jeune fille rompit le contact et recula. Elle semblait quelque peu perdue. 
-                O… Oui ? finit-elle par émettre.
-                Heu… Ç… ça te dirait qu’on… bah, fasse un peu plus connaissance ? J’aimerais aussi que tu m’expliques ce qui se passe ici ? Je ne comprends rien. Je ne comprends vraiment pas ! Je suis… quoi ?
L’étrange jeune fille sembla surprise par sa question, mais finit par se détendre et acquiesça. Il la suivit à travers quelques couloirs. Ils s’arrêtèrent dans un genre de salon aux canapés miteux et défoncés. 
-                Est-ce que tu peux me guider ? lui demanda Azela. Les meubles sont tout le temps déplacés, alors je n’arrive pas à me diriger.
-                OK… 
Il plaça une main sur une épaule et la fit marcher jusqu’à un fauteuil où, d’une simple pression, il lui indiqua qu’elle pouvait s’asseoir. Il frissonna. Il avait encore vu ces ombres terrifiantes… Il prit une chaise et y posa ses fesses.
-                Alors, que voudrais-tu savoir ? l’encouragea la jeune fille avec une moue malicieuse. Visiblement, tu ne sais rien d’ici, je me trompe ?
-                Bah… Pour tout te dire, oui.
-                Je vois… Alors c’est vrai que tout doit te sembler étrange, ici.
-                Je ne pensais pas que les hôpitaux entretenaient des méthodes aussi archaïques.
-                Je l’ignore, je n’ai jamais été dans un hôpital. Ici, celle qui tire les ficelles est une association étrange nommée la brigade.
-                La… brigade ?
-                Oui. J’ignore tout d’eux, leur motivation, leur but ou quoique ce soit d’autre. Mais il semblerait qu’ils n’internent, ou plutôt devrais-je dire n’emprisonnent, que des êtres hybrides.
A ce mot, Nathanaël sentit son cœur battre plus lourdement. Cette appellation… lui faisait mal. Il en ignorait la signification, mais il savait ce terme injurieux, blessant.
-                Azela… qu’est-ce que ça signifie exactement… hybride ? Je ne parviens pas vraiment à saisir… 
La jeune fille allait répondre quand elle tourna brusquement la tête, comme si un bruit l’avait alertée. Elle se redressa péniblement.
-                Azela ? la questionna Nathanaël.
Elle lui offrit un petit sourire contrit.
-                On reprendra notre discussion une autre fois, s’excusa-t-elle.
Elle voulut se diriger vers la porte, mais trébucha et faillit tomber. Elle refusa l’aide du garçon, puis sembla se raviser et se tourna vers lui. La mine sérieuse qu’elle abordait l’inquiéta quelque peu.
-                Q… Qu’est-ce qu’il y a ? finit-il par demander.
-                … Rien, quelque chose à régler. Je viendrai te chercher à l’heure de la douche.
Et elle se glissa dans le couloir.

Juste après les cours, Gabrielle fila au manoir de sa nouvelle employeuse. Un petit mot était scotché à la porte. Entrez, c’est ouvert. Intriguée, la jeune fille obtempéra. De nouveau, le luxe de la demeure la frappa.
-                Excusez-moi ? appela-t-elle. C’est moi, Gabrielle !
Elle vit une silhouette se précipiter derrière les rideaux dans un petit cri. Surprise, elle en lâcha son cartable ! La jumelle de Cinaed reconnut la voix de Lizbeth. 
-                Hé, ce n’est que moi ! s’empressa-t-elle de la rassurer.
Elle se rappela soudainement la consigne de Nestor et pivota sur ses talons.
-                Je ne regarde pas, indiqua-t-elle. Tu peux aller te cacher derrière un paravent.
-                … Merci.
Elle entendit un bruit de pas précipité.
-                C’est bon, finit par lui signaler la jeune fille.
-                Tu as passé une bonne journée ? la questionna Gabrielle en ramassant son sac.
-                Heu, oui, merci… 
-                Tu as faim ? Je te prépare quelque chose ?
-                Non, c’est bon… 
-                Tu es sûr ?
Le gargouillement d’un ventre trahit Lizbeth. Gabrielle prit une voix sévère.
-                Tu as mangé au moins, ce midi ?
-                … Non.
-                Et je fais quoi, moi, si tu tombes d’anémie ?
-                Mais… 
-                Pas de mais ! Où est la cuisine ?
La voix de Lizbeth se mit à guider sa nourrice. Cette dernière sentait la présence de la jeune fille dans son dos, mais se garda de se retourner. Elle pouvait encore sentir les yeux brûlants de Nestor et de la gravité avec laquelle il avait prononcé chaque mot, comme s’ils pesaient aussi lourds que des pierres dans sa bouche : Jamais vous ne devrez voir Mademoiselle. Jamais ! Gabrielle poussa un soupir. Ce vieux majordome devait être complètement gaga de cette fille pour la surprotéger ainsi… Elle ne percevait de Lizbeth que les discrets frous-frous de sa robe, le son léger de ses pas et sa voix mélodieuse.
-                Que dirais-tu de crêpes ? lui lança Gabrielle.
-                Ça me paraît une bonne idée, acquiesça timidement Lizbeth.
Elles pénétrèrent dans une immense cuisine. Un plan de travail en bois semblait s’étendre à l’infini. Une coupe de fruits gâtés trônait au centre d’une table en acajou et un carrelage composé de carrés noirs et blancs offrait un air solennel à la pièce.
-                Les fruits sont complètement pourris ! grimaça Gabrielle. Où est la poubelle, Lizzie ? Je vais les jeter.
-                Lizzie ?
La jeune fille venait de se glisser derrière un paravent. Elle observa à la dérobée Gabrielle qui fouillait dans les grands placards mal garnis, selon elle. Elle finit par trouver un paquet de farine. 
-                Ah, je te tiens !… Oh, pardon ! Ça ne te plaît pas comme nom “Lizzie” ? Désolé, mais Lizbeth, je trouve ça un peu vieillot, alors que Lizzie, c’est plutôt convivial. Ça te dérange que je t’appelle comme ça ?
-                Non… C’est bon.
-                Super ! Alors, voyons les œufs… 
Ils ne sentaient pas vraiment la rose. Elle les reposa dans une grimace.
-                Lizzie, je vais aller chercher des ingrédients chez moi ! signala-t-elle. Je reviens dans quelques minutes.
-                D… d’accord.
Gabrielle sortit précipitamment de la cuisine, tiraillée par l’envie de se retourner. Ce qu’elle ne fit pas. Peut-être qu’elle aurait dû… Et elle aurait ainsi vu cette main se poser sur la coupe de fruit… qui se réduisit instantanément en poussière.

Cinaed s’apprêtait à partir travailler quand sa sœur débarqua dans la cuisine. 
-                Haut les mains ! claironna-t-elle. Ceci est un hold-up !
-                J’ai peur ! ironisa son frère. Tu as déjà été virée ?
-                Non, pas encore ! Je lui ai proposé des crêpes, elle a accepté, sauf qu’il n’y pas un ingrédient potable dans cette maison, alors j’en ramène.
-                Je vois… Au fait, comment allait Ael ?
-                Il n’est pas venu aujourd’hui, soupira sa jumelle en déposant quelques œufs dans une petite boîte en carton, les calant avec des mouchoirs en papier pour qu’ils ne se cassent pas durant le trajet. Il n’en avait sûrement pas le courage. Mais on le reverra demain, pas d’inquiétude ! Malgré son apparence, c’est un solide, notre petit Ael !
Elle lui offrit un sourire carnassier pour appuyer ses dires. Cinaed sourit à son tour. Il sortit une cigarette de son paquet et la porta à sa bouche. Le bout fumait déjà avant qu’il ne la cale entre ses lèvres. Il en prit une grande bouffée qu’il recracha dans le visage de sa sœur, rien que pour l’énerver. Celle-ci fronça les sourcils.
-                Tu sais bien ce que je pense de tes clopes, alors fais gaffe de ne pas laisser traîner ton paquet si tu veux le retrouver.
Cinaed savait qu’elle disait vrai, puisqu’elle avait déjà mis ses menaces à exécution plus d’une fois. Il rangeait donc précautionneusement son paquet. Puis chacun fila à son lieu de travail.

A dix-neuf heures pile, Azela frappa à la porte de Nathanaël.
-                Dépêche-toi, on n’a qu’une demi-heure, le pressa-t-elle. Tu as une serviette ou un pain de savon avec toi ?
-                Non…
-                Il faudra que tu demandes aux gardes de t’en procurer un pour la prochaine fois.
-                Heu… OK.
Une sonnerie se mit soudain à mugir, semblable à une alarme incendie. 
-                C’est le signal, indiqua tranquillement Azela. Allez, viens.
La main toujours posée sur un mur, elle se mit à marcher vivement sans prendre la peine de voir s’il la suivait. Ils débarquèrent dans une sorte de vestiaire où s’empilaient des casiers.
-                Déshabille-toi et pose tes affaires dans un casier. Les douches sont juste après.
-                Mais… Mais… Tu vas te laver avec moi ?
Azela répondit par un sourire moqueur. Seule fille de la section dite “dangereuse”, le personnel de l’établissement n’allait pas se donner la peine de lui aménager quoique ce soit en raison de son sexe.
-                Habitude, éluda-t-elle.
Quelques personnes débarquèrent. Si certaines étaient encore un peu vacillantes à cause des médicaments, d’autres semblaient bien fraîches. Hésitant et quelque peu intimidé, Nathanaël se fit tout petit et suivit vite Azela. La jeune fille avait curieusement gardé son bandeau. Elle se dirigea mécaniquement vers une douche et appuya sur le bouton pour laisser libre cours à l’eau chaude. Quelque peu gênée par la présence de cette demoiselle nue à quelques pas de lui, Nathanaël fixa son attention sur le pommeau de la douche. Il vit soudainement une main se poser sur le mur auquel il faisait face. Un visage vint se planter devant lui, l’air goguenard.  
-                Alors, le petit nouveau, on nous salue pas ?
Les gardes étaient sortis de la salle des douches pour laisser à leurs “pensionnaires” un semblant d’intimité. C’était l’heure pour les requins de passer à table… Azela donna une tape sur une main qui s’était égarée sur sa cuisse.
-                Pas touche, Thomas, gronda-t-elle.
-                Allons, petite Azel’, ricana le garçon au visage de fouine qui avait abordé Nathanaël, présente-moi correctement, chérie.
-                Va te faire foutre, ça te suffit ?
-                Avec toi, je dis oui, bien sûr !
-                Non.
Thomas émit un rire nerveux avant de reporter son attention sur ce petit nouveau aux yeux gris.
-                Alors, t’es quoi, toi, comme hybride ?
Nathanaël fronça les sourcils. Encore ce terme dont la signification continuait à lui échapper, alors qu’il y avait réfléchi toue la journée durant. Si cela continuait, il allait perdre la tête !
-                Alors ? Raconte ! insista ledit Thomas. C’est pas drôle les silencieux, je ne les aime pas… Ça me donne envie de leur montrer pourquoi moi aussi on m’a placé dans la section dangereuse…   
-                Il a tué deux personnes, répondit expressément Azela à sa place.
Le garçon lui jeta un regard affolé qu’elle sembla capter à travers son bandeau. Thomas se redressa, les yeux plissés.
-                Ah ouais ? Et pourquoi ça ?
Nathanaël n’avait rien à répondre. Il ne pouvait pas avouer que c’étaient elles qui lui soufflaient depuis toujours ce qu’il devait faire, qui guidaient ses gestes et qui ensuite le cajolaient à force de mots doux… Si ? 
Il haussa les épaules. Bah, après tout, peut-être qu’il était vraiment fou, lui.
-                J’entends des voix qui me disent ce que je dois faire, se lança-t-il.
Thomas éclata de rire. Pas Azela. Elle resta silencieuse puis fit brusquement demi-tour avant de quitter la salle des douches.

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