jeudi 31 octobre 2013

JOYEUX HALLOWEEN

Ah, Halloween, les frissons et les bonbons qui filent des caries…

Mauvaise nuit à tous ! L'année dernière, je vous avais fais un article sur l'histoire d'Halloween, cette année, heu… Ben je ne sais pas quoi écrire, en fait. Oui, exactement comme la dernière fois ! Moi qui adore cette fête, je me retrouve en panne d'inspiration à chaque fois… 

Ça vous dit, un petit one-shot improvisé ? Allez ! Êtes-vous prêts à frissonner ? Alors suivez-moi… 


    Les bois avaient pris des couleurs écarlates. Les feuillages mordorés se déclinaient sous des teintes différentes qui rendaient le lieu chaleureux. Pourtant, en cette fin d'après-midi, Ambre frissonnait de froid. Elle resserra son tricot dans un geste habitué, agenouillée près de la rivière, comme tant d'autres femmes aux mains bleues. 
    Dans un soupir résigné, elle sortit un linge sale qu'elle plongea dans l'eau glacée. La morsure du liquide lui arracha une grimace. Pour ne plus penser à la souffrance qui picotait ses doigts, elle se mit au travail. Armée de son racloir et de sa planche, elle nettoya des heures durant le linge, jusqu'à ce que ses doigts engourdis ne puissent plus tenir son outil, jusqu'à ce que son dos lui arrache des gémissements. Quand elle se redressa enfin, la plupart des lavandières étaient déjà reparties. Ambre, dans un soupir soulagé, salua les dernières et repartit d'un pas vif.  

    Ambre traversa son village, le panier calé contre sa hanche. Sur son chemin, elle croisa des hommes qui lui sourirent, mais elle n'adressa pas un regard à leur bouche orné de chicots pourris. Tête haute, elle ignora les chuchotements sur son passage. Depuis qu'elle était devenue veuve, les hommes la convoitaient, les femmes se méfiaient d'elle comme de la peste. Sorcière, elle l'a tué, un si gentil garçon… 
    Comme si ces commères pouvaient comprendre quoique ce soit à sa douleur ! Comme si perdre son mari n'avait pas été déjà assez dur… 
   La jeune femme referma rapidement le battant de sa porte. Le cabanon où elle logeait était si vide… si froid… Elle déposa son panier, la peau couverte de frissons désagréables. Dire qu'il y a quelques semaines, elle aurait été accueillie par un sourire chaleureux de son mari, un baiser sur la tempe. Puis le petit Will, ce si joli bambin avec ses boucles brunes et ses mains toutes potelées, oui, le petit Will lui aurait souri avec sa bouche sans dents… 
    Ambre ne se donna même pas la peine de fouiller le garde-manger qu'elle savait vide. Son travail de lavandière ne lui rapportait pas assez d'argent pour qu'elle puisse vivre décemment. Vivre… ? Elle eut un sourire ironique. Depuis la perte des revenus de son mari, qu'avait-elle fait à part trimer pour survivre… ou survivre pour trimer, elle ne savait plus exactement. Elle porta une main à son front moite. Quelle faiblesse dans ses membres, elle se sentait vaciller… 
    Le crépuscule avait gagné l'horizon. Il déployait sur le monde ses voiles sombres, teintant le monde de nouvelles beautés, dévoilant un visage de leur terre, éphémère et étranger aux humains. Un spectacle dont la jeune femme ne se lassait pas. Là, sous le couvert de l'obscurité, elle pouvait se voiler la face, s'imaginer dans un foyer douillet et chaleureux, en compagnie d'une famille aimante à l'abri du besoin. 
    Dans les ombres, elle pouvait dissimuler ses actes… 
   
    Au lever du jour, Ambre se réveilla avec des crampes d'estomac. Elle tenta de couper sa faim avec de l'eau dans laquelle elle avait fait bouillir quelques herbes, mais ses maux s'accentuèrent. Heureusement qu'elle devait être payée aujourd'hui… Avec un peu de chance, elle pourrait s'acheter une belle miche dorée chez le boulanger. Rien que l'idée la faisait saliver. 
   C'est avec cette idée qu'elle commença sa journée. Son panier de la veille sous le bras, elle fit le tour du village pour remettre à ses clients leur linge lavé. Monnaie sonnante et trébuchante qui tombait dans sa paume gercée par les heures de travail. Elle recueillait avec un soin presque religieux la moindre piécette qui lui permettrait de subsister un peu plus, ne serait-ce qu'un jour de plus… 
-   Tu appelles ça du linge propre ?! 
    Ambre poussa un cri quand le client en colère lui balança la braie à la figure. Elle trébucha et tomba sur les fesses. Dans sa chute, elle lâcha le panier qui contenait encore deux robes. Ces dernières tombèrent dans la boue et les excréments de chèvre. Le tissu s'en imbiba aussitôt. Affolée, Ambre s'empressa de les ramasser d'une main tremblante. Ses robes allaient encore lui demander des heures de travail ! Dire que ses clientes l'avaient exigé pour aujourd'hui ! Elle aurait aimé hurler après l'homme, mais si… il risquait de ne plus avoir recours à ses services et… 
-   Retourne laver ça, incapable ! beugla l'odieux personnage. Et ne compte pas avoir ta paie tant que cette braie ne sera pas éclatante ! 
     Les doigts d'Ambre creusèrent la terre. Elle ne pouvait empêcher ses épaules de trembler. Elle allait… Ses yeux écarquillés fixaient les robes qu'elle tenait serrées contre sa poitrine. 
     Relever la tête… sourire gentiment… Sois une bonne petite. 
-   Bien sûr, monsieur ! Je vais vous la laver tout de suite ! 

    Elle n'en pouvait plus… Ambre éternua. Pourvu qu'elle ne tombe pas malade… Le dos, le bras, les épaules… comme si ses os étaient rompus… Elle tordit la robe, les dents serrées. Les tâches ne partaient pas ! Paniquée, elle se mit à frotter son pain de savon plus vigoureusement contre le tissu. 
-   Pitié, pitié, murmurait-elle entre ses dents serrées. Ne me faites pas ça… Pitié… 
    Elle sentit les larmes venir, elles brouillèrent sa vision. Dans un sanglot, elle se mit à racler le vêtement avec plus d'ardeur que jamais. Ses gerçures lui faisaient tellement mal… Quand elle reprit le pain de savon, ses mains tremblaient. Elle s'apprêtait à se remettre au travail, quand le savon lui échappa.    
-   Non ! 
   Trop tard, il se faisait déjà emporter par le courant. Sans hésitation, Ambre bondit dans l'eau. le courant était fort dans ce coin-là et, plus d'une fois, elle faillit tomber. Après avoir bu la tasse deux fois, elle parvint enfin à récupérer son pain de savon qu'elle serra contre sa poitrine, ahanante. Elle avait tellement eu peur… 
   Elle voulut faire demi-tour, mais un son la figea. Un… rire… ? Qui pouvait être là à cette heure avancée de la nuit ? Et pourquoi… faisait-il si froid tout à coup ? Un silence d'outre-tombe planait sur le bois. Oiseaux, insectes, bruissement des feuilles dans le vent… Tout s'était tu, jusqu'au ruissellement de la rivière. Un nœud qu'elle ne saurait expliquer vint s'installer dans ses entrailles. Son souffle formait un minuscule nuage dans l'air. 
Une main se referma sur son épaule. Ambre faillit pousser un cri, mais des doigts vinrent forcèrent le passage de sa bouche. Elle avait un goût de sang sur la langue… Ses yeux glissèrent sur les doigts posés sur elle. Des mains gercées par le froid, fendu par les heures interminables de travail… Ses pupilles se dilatèrent. Non, pitié, non… Les doigts s'enfoncèrent un peu plus dans sa gorge, Ambre crut qu'elle allait vomir. Elle aurait voulu se débattre, mais une peur animale paralysait ses membres.
Ô lavandières maudites… 
On la fit basculer en arrière. L'eau l'aspira. La dernière vision qu'elle eut  fut des jambes ruisselantes d’un sang noir mêlé à du pus qui suintait de plaies profondes à force de rester agenouillée… Agenouillée en signe de soumission absolue ou de résignation ? Se résigner à ce sort…
Je ne… Je ne veux pas !
Des visages marqués par mille tourments éternels… 
Ô lavandières de nuit, mères infanticides. 
Ambre sentit l'eau s'infiltrer dans sa gorge, parcourir l'intérieur de son corps, gonfler ses poumons. Elle ressentait chacune de ces sensations avec acuité. Ah, songea-t-elle, alors c'est ça qu'a vécu Will… quand je l'ai noyé… 
  Ses organes internes ne résistèrent pas à la pression et furent réduits en bouillie. Dans un ultime cri de douleur, elle se cambra, mais aucun son ne sortit de sa bouche béante. 

Au lever du jour, une battue fut organisée par le village, mais on ne retrouva nulle trace d'Ambre. Au bord de la rivière, le racloir, la planche, le savon, les vêtements… tout avait disparu. Mais on raconte depuis qu'une voix se fait entendre les nuits sombres, celle d'une femme. D'autres chuchotements parfois étaient perceptibles, mais ces paroles-ci étaient plus fortes que les autres, plus déchirantes en étaient les plaintes. 
Celle d'une mère qui pleurait l'éloignement de proches qu'elle n'avait pu rejoindre dans la mort. 

Marine Lafontaine

PS : Alors, qu'en avez-vous pensé ? Improvisation sur la légende des fameuses lavandières de nuit.   

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