jeudi 13 mars 2014

FICTION PARTICIPATIVE, CHAPITRE 5

Je sais, je suis en retard, désolée, désolée ! Voici sans plus tarder le chapitre 5 de la fiction ! Enjoy !


Arzhel avait cédé. Ce parfum, il l’avait hanté des heures durant. Il imprégnait l’atmosphère tout entier, ça en devenait insupportable. Cette almée, ou peu importe qui elle soit, s’était baladée dans sa demeure. Il avait suivi son parcours grâce à son odeur qui marquait son passage. Il avait grignoté quelques griottes pour espérer tromper ses sens, mais même ces délicieuses cerises alcoolisées n’avaient su détourner sa soif grandissante.
Le sang de menteurs avait toujours eu place privilégiée à ses yeux. On disait parfois que les vampires avaient une affinité avec un sang particulier. En ce qui le concernait, aucun doute possible. Adultère, mensonge, arnaque, faux-semblant… Bon Dieu, il y avait tant de menteurs en ce monde !
Il plongea son nez dans le cou de la victime et se délecta du parfum que dégageait sa peau. Il remonta le long de la gorge, là où la peau était si fine. Il pouvait sentir contre ses narines le sang pulser sous la chair. Une délicieuse torture. Marlyne le fixait avec des yeux effrayés, tétanisée à la vue de ses crocs. 
-                Si vous me permettez, demoiselle… 
Sa victime tenta de se défaire de son emprise, mais le seigneur des lieux n’était pas à son premier coup d’essai. Il la maintint fermement sur le sol avec une aisance qui témoignait de l’habitude. Bien que ce soit contraire à sa règle éthique où il privilégiait l’élégance, il allait mordre cette femme immédiatement. Son dernier repas remontait loin, trop loin… Il avait vraiment… très… soif… 
Il apposa un bref baiser sur la gorge de Marlyne. Puis il écarta les lèvres. Ses crocs s’aiguisèrent sous l’appel du sang. Mais alors qu’il s’apprêtait à les plonger dans la chair de son almée, il sentit une présence près de lui. 
-                Qu’y a-t-il, Torja ? gronda-t-il en se redressant légèrement, maintenant toujours sa proie sous lui.
-                Je suis désolé de vous déranger, lui indiqua son secrétaire bien qu’il n’en ait pas l’air le moins du monde. Mais je pense vous avoir trouvé un musicien pour ce soir.
-                Bon sang de bois, Torja ! s’emporta son maître. Je t’ai déjà dit de ne pas me déranger quand je m’apprête à boire du sang ! J’étais vraiment près du but, mes crocs sont douloureux. Le prochain menteur que je croise, je ne pourrai m’empêcher de lui sauter dessus ! Laisse-moi me sustenter, j’arrive.
-                J’ai peur que cela ne soit pas possible.
-                Et pourquoi donc ?!
Torja referma sèchement le couvercle de sa montre à gousset.
-                Il est l’heure.

Jack détestait le costume ridicule qu’on l’avait forcé à enfiler. Ça lui collait à la peau, la matière était désagréable et l’habit en lui-même dégageait une drôle d’odeur… 
-                Arrête de t’agiter, souffla Jaide avec un sourire amusé.
-                J’ai l’air d’un clown, affublé de cette manière.
-                Tu es un musicien ce soir et rien d’autre. Tiens-toi tranquille maintenant.
Jack grimaça pour la forme, mais consentit à obtempérer. Son regard se balada dans la pièce emplie des femmes du harem. Elles venaient de tout horizon. Leurs langues mélodieuses aux accents différents se mélangeaient délicieusement.
Il sentit soudain le coude de Jaide lui rentrer dans l’estomac. 
-                Redresse-toi, il est là… lui souffla-t-elle.
Jack n’avait pas besoin qu’elle lui dise. Même avant qu’il ne rentre dans la pièce, il avait senti sa présence écrasante. Quand il croisa ses yeux de félins, il se sentit cloué sur place par l’intensité de ses pupilles.
“Il est…” Il ne parvint même pas à formuler la fin de sa pensée. Arzhel détourna son regard. Il alla s’asseoir dans un siège et croisa élégamment ses longues jambes. 
-                Bon, c’est vous le musicien ?
-                Heu… oui, balbutia Jack. Je joue… du piano.
-                Et bien faites. Voyons votre talent, ajouta-t-il, un sourire moqueur sur les lèvres.
“Punaise, on se ressemble, d’une certaine manière !” Jack déglutit bruyamment. Il s’approcha du banc que lui avait désigné Jaide quelques minutes plus tôt et s’y assit. Il pianota d’abord sur quelques touches pour vérifier que l’instrument était réglé. Depuis combien d’années n’avait pas touché à un piano ? Il avait pris toutes ses leçons avec Aron, mais elles remontaient à si loin !
“Alors, qu’est-ce que je peux jouer… ? Voyons…” Il jeta un coup d’œil à son ancêtre qui l’observait avec impatience. Il avait intérêt à s’y mettre, message saisi !
Il joua le premier morceau qui lui passait par l’esprit. Une musique de Yan Tiersen, pas très original, mais au moins, il se souvenait des notes. Malgré quelques erreurs, il parvint à restituer le morceau correctement. Quand il déposa ses mains sur ses genoux, un silence irréel plana dans la salle.
-                Je ne connaissais pas ce morceau.
La voix était surprise. En effet, vu son regard, Arzhel était réellement surpris. Surpris… et intéressé.
-                De qui est-il ?
-                Tiersen, répondit Jack. Vous ne connaissez p… ?
Mais oui, quel idiot ! Puisqu’il était dans le passé, Tiersen n’avait pas pu créer ce morceau ! Il n’était même pas né !
-                Très bien, je vous engage pour la soirée. Comment vous appelez-vous ?
-                Jack.
-                Bien.
Il fit signe à Torja d’approcher. L’impassible secrétaire obéit.
-                Torja va te trouver une tenue plus adaptée que tes vêtements de clown, indiqua le seigneur des lieux en haussant un sourcil. J’ignore qui t’as habillé ainsi, petit, mais c’est de très mauvais goût.
-                Hé ben merci, grommela Jaide à voix basse, l’air boudeuse.
Jack esquissa un sourire satisfait. Il avait réussi à gagner sa place au moins pour ce soir. Maintenant, il fallait qu’il trouve un moyen de rentrer chez lui… 
Une fillette entra soudain précipitamment la pièce, l’air affolée. 
-                Seigneur, le roi… ! Le roi est arrivé en avance !
Arhzel jura comme un charretier. Il claqua dans ses mains pour attirer l’attention de tous sur lui. 
-                On ne s’affole pas, on accueille comme il faut notre invité et surtout, on fait comme si c’était prévu !
-                Seigneur Arzhel déteste quand on le prend par surprise, gloussa Jaide à l’oreille de Jack.
“Un trait de caractère qui s’est perpétué à travers les âges”, songea celui-ci avec un soupir désabusé.
Autour de lui, une véritable machine s’était mise en branle. Chacun savait ce qu’il devait faire. On apporta à Arzhel son long manteau rouge, on peigna rapidement ses cheveux et on le parfuma. En un rien de temps, les filles se dévêtirent, se maquillèrent, se parèrent de joyaux. Le personnel arrangeait les coussins, Séchar et Ridaö apportaient des plats aux fumets salivants, on ouvrait les fenêtres, on secouait les rideaux, on arrangeait les compositions florales. Au cœur de ce tourbillon d’étoffes et de murmures, Jack demeurait stupidement inerte, bras ballants.
Arzhel frappa de nouveau dans ses mains. Les filles se positionnèrent, alanguies, tranquilles. Jaide se posa contre le piano, une jambe ramenée contre elle, l’autre repliée derrière ses fesses. Elle avait remonté ses longs cheveux en un chignon négligé et n’avait autour du cou qu’un simple collier doré. Le seigneur des lieux et son secrétaire passèrent dans les rangs pour modifier quelques détails. Quand ils s’estimèrent satisfaits, ils se reculèrent.   
-                Très bien, mesdemoiselles, nous revenons dans quelques instants. Jack, quand le roi franchira cette porte, tu te mettras à jouer, je suis clair ?
-                Oui, seigneur.
-                Parfait !

Arzhel et Torja se pressaient vers la cour. Le vampire allait en franchir le seuil quand une main menue l’attrapa par le poignet. Il s’agissait de Dania, l’enfant qui l’avait prévenue de l’arrivée de sa majesté. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour arranger la fleur à sa boutonnière.
-                C’est mieux, sourit-elle.
-                Merci. Tu devrais retourner dans tes appartements, maintenant, Dania.
-                Ah non, je vais m’y ennuyer ! protesta la fillette.
-                Ce serait tout de même plus prudent. S’il te plaît.
Même si elle aurait nettement préféré refuser clairement, Dania savait que Arzhel avait raison. Le roi avait des goûts étranges, autant ne pas le tenter… Elle soupira pour la forme, mais hocha la tête. Quand elle eut disparut, Arzhel se tourna vers Torja.
-                Fais attention à ce qu’elle ne rôde pas dans les alentours.
-                Compris.
Le vampire repoussa ses cheveux en arrière dans un mouvement élégant. Et d’un pas assuré, il pénétra dans la cour illuminée par une kyrielle de lampions en papier. L’espace clos avait été envahi par des serviteurs. Au centre de cette armée servile se trouvait Vactoir Vosare, un homme aussi gras qu’inélégant, jugea tristement Arzhel. Il n’était pas à proprement parler roi, mais il était un des nombreux dauphins qui prétendaient au trône de la région. Et il adorait qu’on l’appelle Votre Altesse…  
-                Votre Altesse, quel plaisir de vous recevoir dans mon humble demeure !
-                Epargne-moi tes simagrées de singe, Arzhel, répliqua le dauphin de sa voix traînante. Venons en directement à l’essentiel plutôt que de nous faire des ronds de jambes.
“Il est toujours aussi désagréable…”
-                Bien sûr, Votre Altesse. Les femmes vous attendent, veuillez me suivre.
Arzhel avait hâte que cette soirée se termine… En réalité, ce qui le motivait, c’était retrouver cette menteuse qu’il avait enfermé dans une chambre à l’étage. Rien que penser à elle, il sentait ses crocs le tiraillaient. “J’ai vraiment soif…”
-                C’est ici, Votre Altesse.
Il poussa la porte. Mais, contrairement à ce qu’il avait souhaité, la musique ne s’enclencha pas quand ils entrèrent dans la pièce. Au centre de la salle, les femmes s’étaient regroupées craintivement. Et près d’elles se tenait le pianiste, un couteau posé sur la gorge…
-                Quelque chose me dit que vous n’avez pas trouvé votre chambre à votre goût, petite menteuse.
Marlyne lui jeta un regard hautain. Puis un sourire psychotique vint étirer ses lèvres.
-                Vous êtes perspicace, seigneur Arzhel.

Jack n’avait aucun mal à comprendre ce qu’il se passait. Il servait d’otage. Encore. Il soupira. Dire qu’il pensait que cette période révolue.
Quand il était enfant, on l’avait plus d’une fois kidnappé à la sortie de l’école pour demander une rançon à son père. Il connaissait depuis longtemps les gestes à ne pas faire et les réflexes à avoir. Mais aussi, il n’était plus ce gamin de primaire. Il avait grandi.
Et il avait eu un très bon professeur en Aron.
Il consulta plusieurs personnes du regard. Jaide, affolée, Séchar, perdu, Torja… non, pas Torja. Quant à Arzhel, il faisait à peine attention à lui. Il souriait à celle qui le retenait en otage. Une jeune femme aux cheveux bleus. “Ils ont des couleurs pour le moins originale dans le passé… Bon, ce n’est pas tout ça, mais je ne vais pas rester comme ça plus longtemps, ça me gave.”
Il écrasa le pied de son agresseur avec son talon. Elle glapit de douleur et relâcha la pression de son couteau contre sa pomme d’Adam. Jack en profita pour se faufiler hors de son étreinte. Il saisit son poignet pour tenter de la désarmait, mais pour Marlyne, hors de question de reculer, pas après avoir été si loin. Elle affirma sa prise sur son arme de toutes ses forces. Elle balança sa jambe de toutes ses forces contre le torse de Jack.
Un craquement sec emplit l’air. Arzhel eut une grimace compatissante. Ouch. Elle devait bien lui avoir cassé une côte, cette sauvage.
-                Torja.
-                Oui, seigneur ?
-                Arrête-les.
L’ancien esclave hocha la tête. Il s’avança calmement vers Marlyne dont il saisit le bras. D’une torsion habile du poignet, il fit sauter simplement le couteau des mains de la jeune femme. Puis il balaya ses jambes de la sienne pour la faire tomber et la maîtriser. Leur affrontement n’avait pris que trois secondes. Mais c’était suffisant pour cet ancien gladiateur.
Marlyne n’était simplement pas de taille face à lui.
-                Emmène-la, lui ordonna froidement le vampire. Cette fois-ci, enferme-la dans un lieu d’où elle ne pourra pas s’échapper. Et Ridaö, occupe-toi du pianiste.
-                Oui, seigneur !
Le blessé et la prisonnière furent vite évacués. La pièce fut vite emplie de chuchotis. Arzhel, agacé, frappa de nouveau dans ses mains.
-                Mesdemoiselles, on se calme et on retourne à sa place.
-                Votre Altesse, reprit-il à l’adresse Vactoir Vosare. Je suis désolé que cette énergumène vous ait importuné. Je la corrigerai, soyez-en certain.
-                Je l’espère pour vous ! cracha avec mépris le dauphin. Maintenant va-t-en, je veux pouvoir profiter des femmes en tranquillité.
-                Evidemment.
Le vampire fit signe à son cuisinier de le suivre. Ils quittèrent tous deux la pièce et refermèrent la double porte derrière eux. Arzhel poussa un soupir affligé.
-                Séchar, demeure à proximité et assure-toi que Vosare ne manque de rien.
-                Bien, seigneur.
-                Hum.
-                Seigneur… qui était-ce ?
-                Une almée, soi disant.
-                C’était elle, l’almée… ?
-                Oui, il va falloir que je m’en occupe.
-                Et le gamin, il va bien, dites ?
-                Sûrement, sûrement, grogna le vampire, peu soucieux du sort du pianiste, en réalité.
Quoique… La façon dont il avait tenté de contrer la menace était intéressante. Imparfaite, mais intéressante.
A croire qu’il avait mis la main sur deux proies ce soir… 

Marine Lafontaine

Aucun commentaire: