mardi 30 août 2016

CARTE 8, LES PENSÉES D'UNE POUPÉE D'EAU

Bien le bonjour, tout le monde !

La voici, la voilà enfin ! La nouvelle carte. En plus, nous sommes arrivés au nombre huit, mon chiffre préféré. Alors j'espère que le texte vous plaira ! Une image, mille mots, nous revoilà partis, ensemble.




Je ne pense pas que mes créateurs avaient en tête mon éveil lorsqu’ils m’ont fabriquée. Parfois, j’entraperçois des bribes de souvenirs de ma mise au monde. Le fer que l’on tord et que l’on soude, le visage que l’on moule, les yeux que l’on peint. J’ai partout sur le corps les sensations de leurs mains qui travaillent, qui me taillent et qui me modèlent. C’est très agréable car c’est la seule fois où j’ai pu ressentir le contact avec une chaleur humaine avant qu’on ne me plonge dans l’eau.

Je suis une poupée.

Ou, plus exactement, je suis une sorte de décoration d’aquarium. Mes créateurs m’ont dessiné pour que je donne un côté mystérieux au bassin des poissons. C’est pourquoi je ressemble à une sorte de créature fantastique avec un buste de femme et une structure métallique en lieu et place des jambes. Des arceaux bleutés forment une sorte de jupe sans texture. Toutes les créatures aquatiques du coin s’y frottent, serpentent à l’intérieur, les frôlent. Parfois, elles ne font que traverser, tranquilles et, parfois, elles s’amusent à se poursuivre les unes les autres. C’est assez amusant à regarder.

Je me souviens de mes premières années dans cet aquarium. J’adorais voir la réaction des visiteurs qui ouvraient des yeux émerveillés à ma vue. Il faut dire que j’étais belle dans ma jeunesse. Celui qui avait fabriqué mon visage était un artiste délicat qui avait pris beaucoup de soin à finaliser chaque détail. Et il m’avait aussi donné de très longues anglaises blondes qui flottaient avec élégance dans l’eau. J’étais comme une reine des eaux, une créature qui veillait sur les siens avec la bienveillance d’une petite sainte. C’était d’ailleurs ainsi qu’on m’avait nommé. La petite sainte de l’aquarium.

Je pense que l’on peut dire que j’ai été heureuse à cette époque. Je n’y connais pas grand-chose, il est vrai, mais je crois que les sentiments dans ma poitrine étaient ainsi nommés. Les poissons étaient des créatures tranquilles, toutes pacifiques et les humains étaient tellement multiples ! J’aimais tellement les observer depuis l’autre côté de ma vitre. Leurs sourires, leurs yeux brillants, leurs petits nez écrasés sur la glace pour observer au plus près tout ce qu’il y avait à voir… J’aimais les voir parler entre eux, s’arrêter, se tenir la main, froncer les sourcils, prendre des notes, nous montrer du doigt, nous dessiner.

Et, dans un même temps, je me sentais incroyablement triste. Ils repartaient toujours, ces visiteurs. Aucun ne restait. Et ils ne me parlaient pas. Ils posaient leurs yeux sur moi, me caressaient un moment du regard, puis se détournaient de moi. Jamais ils n’ont essayé de me poser une question ou quoique ce soit. De toute manière, je ne pense pas que j’aurais pu entendre leurs voix depuis l’autre côté… 

J’aurais bien aimé naître en tant qu’humaine.

Avec le temps, les choses ont évolué. Les visiteurs ont commencé à se faire plus rares, il a fallu faire des choix. Comme arrêter d’entretenir la décoration que j’étais. Un jour, on a cessé de me nettoyer, de me protéger des dégâts du temps et de l’eau. J’ai très vite ressenti les conséquences de cet abandon. Mon corps se désagrégea rapidement, la peinture s’écailla, mes cheveux se mirent à tomber. Mes bras et ma robe furent très vite dévorés par la lèpre écarlate de la rouille. En peu de temps, je fus destituée de mon rôle de sainte. Je n’osais même plus regarder mon reflet dans la vitre de l’aquarium tant j’étais devenue laide.

Et les enfants se mirent à avoir peur de moi. Cela acheva de convaincre les humains de mon inutilité. Ils m’ont sortie de l’aquarium et m’ont privée de mes jambes. Apparemment, le métal n’était pas encore en trop mauvais état, ils espéraient assurément pouvoir en faire encore quelque chose. Ils ont discuté un moment pour savoir s’ils pouvaient aussi recycler le reste. Apparemment, non, c’était impossible.

J’ai fini dans un sac poubelle. Ils m’ont mis dans cet affreux plastique noir où je me suis mise très vite à étouffer. J’avais peur… Oh que j’avais peur ! J’ai essayé de crier, de me débattre, mais mon corps rigide ne me le permit pas. Etais-je condamnée à simplement disparaître ?

Lumière. Des mains qui plongent dans le sac et m’extirpent des ténèbres. Un homme âgé s’est mis à m’observer sous un lorgnon. Il parlait avec un gamin, lui souriait, lui expliquait ce que j’étais. Apparemment, il était venu me voir autrefois à l’aquarium et m’avait récupérée. Tous deux me manipulaient avec une grande délicatesse, comme si j’étais incroyablement fragile. Leurs doigts étaient tellement doux et chauds… J’en aurais pleuré si j’en avais eu la possibilité.

Ils m’ont réparée, le grand-père et le petit-fils, ensemble. Ils m’ont donné des jambes articulées, ont changé mes bras et ont repeint mon visage. Même mes cheveux avaient repris leur éclat d’autrefois. Ils semblaient si heureux de me voir belle, tous les deux. Le temps a passé. A mesure que le petit-fils grandissait, il me modifiait, jusqu’à que mon corps tout entier soit articulé. Un jour, il apprit la couture pour me créer des vêtements. C’était un peu gênant d’être sans cesse déshabillée, mais ses expressions de ravissement étaient telles que je ne pouvais protester.

Un jour, le grand-père mourut. Le petit-fils me prit avec lui pour l’enterrement. J’avais l’impression de perdre un membre de ma famille, moi aussi. Le petit-fils m’a gardé contre lui pendant toute la cérémonie. Puis il m’a ramenée chez lui. Il m’a déposée sur une commode et m’a souri. “Il n’y a plus que nous deux”, m’a-t-il dit.

C’est peut-être vrai. Mais ne t’en fais pas. Je veille sur toi. Je vais apprendre à me servir de ce corps que tu m’as donné, je te le promets. Et, un jour, je te rendrai tout ton amour. J’ai envie de te parler, de te sourire, de te bercer contre moi et de sécher les larmes qui maculent tes joues.

Moi, la décoration d’aquarium, j’aimerais devenir humaine à tes côtés.

Marine Lafontaine

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